Zina : l'histoire de ma grand-mère │ DZ Ladies Blog
Ce dont elle se souvient, c'est que son nom est Zina, qu'elle n'avait pas de sœurs. Elle avait vu le jour quelque part en Afrique où tout le monde était vêtu d'une peau noire ébène.
Elle s'était retrouvée ensuite dans la ville marocaine de Fès où il lui a été donné un nouveau nom, comme à tous les esclaves.
Zohra, c'est ainsi qu'elle s'est fait appeler, je pense que les esclavagistes n’étaient pas dotés d’une grande imagination. Dans toutes les familles noires il y a une grand-mère qui porte le nom de Zohra!
D’une enfant à une Esclave, à 12 ans
Mon arrière-grand-mère, Dada comme je l’appelais, apprit à cuisiner, nettoyer et chanter dans la maison de son maître. À 12 ans, Dada était déjà belle, grande, au corps parfaitement proportionnés, comme toutes les Africaines. Malheureusement, sa beauté était une malédiction, et non pas une bénédiction.
Cela ne fit qu’aggraver sa situation avec son maître, être une belle esclave signifie être le jouet sexuel préféré de son maître. Cela n’a rien à voir avec le feuilleton turc Harim Al Sultan, son maître lui fit subir des atrocités. Ce dur vécu a laissé des séquelles en elle, qui se sont traduites, plus tard, par un trouble psychiatrique dont elle souffrira jusqu’à sa mort.
Elle tomba enceinte à l'âge de 12 ans, suite à plusieurs viols. Elle n’a jamais rien dit sur l'identité de son violeur, cela peut être l'homme qui l'avait asservie ou l’un des membres de sa famille. Je pense que c’est à cause de son traumatisme que son esprit a effacé tous les mauvais souvenirs.
Mais quand t’es une esclave on n’en a rien à faire de ta tragédie, personne ne voulait d’elle dans la maison maintenant que son ventre grossissait jour après jour. Une esclave engrossée par son maître signifiait que le sang des “abid” allait être mêlé au sang des “chorfa”, sang de maîtres. À l’époque, le métissage n’était pas encore à la mode, c'est ce qui poussa la femme du maître à libérer mon arrière-grand-mère.
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Zina: histoire de ma grand-mère |
Algérie, Amour & Espoir
Je ne sais pas comment Dada est arrivée en Algérie. Peut-être qu'elle était venue avec les immigrés marocains qui se sont installés en Algérie à l'époque. Tout ce que je sais, c'est que cela datait de l’époque prérévolutionnaire. Elle s'est retrouvée dans la ville d'Oran, dans le quartier d’El-Médina Al-Jadida, le « quartier nègre ».
Elle était seule, étrangère, effrayée et enceinte dans un pays qu’elle ne connaissait pas. Heureusement qu’elle a rencontré beaucoup de femmes algériennes et marocaines qui ont souffert comme elle. Elle s’est faite de bonnes amies, cela a pu alléger le poids de sa solitude.
Mon arrière-grand-mère adorait cet enfant qui grandissait dans son ventre, alors elle a décidé de le garder après l'accouchement. Comment aurait-elle pu laisser tomber l’être grâce auquel elle était devenue libre?!
Il représentait tout pour elle, Il était la famille dont elle a été privée. Ce bébé était un bon présage pour elle malgré les souvenirs qu’il pouvait évoquer. Elle lui a donné le nom de l’un des militants algériens les plus connus de cette période. Il est vrai qu'elle était d'origine marocaine, peut être même subsaharienne, mais elle aimait l'Algérie à la folie, car elle n’a connu la liberté que dans ce pays.
Dans une terre lointaine, un chevalier algérien quittait sa tribu à cheval après avoir commis le meurtre de «Kaïd», un Harki. La police française était à la recherche de ce chevalier qui a tué son espion.
Vous avez peut-être deviné qu’il s’agissait de mon arrière-grand-père !
Le destin aurait voulu que les deux se rencontrent, dans la ville d'Oran, et se marient. Mon arrière-grand-père adopta le bébé qui venait de naître et l’aima comme son propre fils. Mes arrières-grand-parents ont eu un mariage heureux avec beaucoup d’enfants.
Ma grand-mère maternelle se souvient très bien du jour où son oncle est venu du village.
C’était la première fois où il leur rendît visite, il découvrît que la femme de son frère était noire ! Alors, il suggéra à son frère de divorcer car « elle ne lui donnera naissance qu’à des cafards » d’après lui. Mon arrière-grand-père l'a expulsé de chez lui en lui disant qu'il ne voulait plus revoir son visage, raconte ma grand-mère.
Même si la polygamie était très répandue à l’époque, mon arrière-grand-père n’a jamais songé à épouser une autre femme.
La fin d’une histoire d’amour et de guerre
Lorsque la maladie d'Alzheimer a commencé à lui ronger le cerveau, mon arrière-grand-mère a tout oublié, mais elle n’a pas oublié son mari ! D’ailleurs lorsque ma tante est tombée enceinte et sut qu’elle allait avoir un garçon, elle demanda à Dada de lui proposer un prénom. Mon arrière-grand-mère lui répondit : "nomme-le Ahmed, car je l'aimais."
Dada a vécu un siècle, ou presque, car on ne connaissait pas vraiment sa date de naissance exacte. Elle mourra en 2004, entourée de ses enfants, ses petits-enfants et ses arrières-petits-enfants.
Histoire magnifique ❤
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